Le récit poignant de Catherine sur la Diagonale des Fous 2024

« Je me dis c’est foutu, je ne finirai pas la diagonale… » Découvrez le récit poignant de Catherine après sa participation à la Diagonale des Fous 2024.

INTRODUCTION

Lors de notre reportage sur la Diagonale des Fous/Grand Raid 2024, un ultra trail de 175km qui traverse l’île de la Réunion, nous avons rencontré Catherine sur le parcours. Elle nous avait expliqué que c’était son 1er Grand Raid et qu’elle courait pour son papa qui est décédé sur cette île il y a 4 ans. Retrouvez notre reportage en cliquant ICI.

Découvrez le récit de sa course ci-dessous

L’avant course.

On est le 12 octobre au matin, je viens d’atterrir à Saint Denis après un long vol avec mes enfants. Je retrouve mon grand frère avec de l’émotion. La dernière fois que je suis venue sur l’île c’était pour dire un dernier adieu à mon papa parti bien trop tôt en septembre 2020. Un mélange de sentiments m’envahit (entre tristesse, joie et impatience). L’ambiance est déjà très festive, nous sommes accueillis par des musiciens et danseurs à la sortie de l’aéroport. Un avant goût de ce que nous allons vivre lors de ce Grand Raid ! Les prochains jours vont être consacrés au repos, et à l’acclimatation, bien que l’été ne s’est pas installé et que les températures restent agréables, le taux d’humidité est bien plus élevé qu’en métropole et cette année l’édition sera très humide, mais ça je vous en parle plus tard. Une dernière petite rando sur les hauteurs de la Saline les bains par la ravine tabac. Je croise quelques coureurs . Les trailers ont envahi l’île, ils sont partout. Les sensations sont bonnes, la forme est au rendez vous. Coucher de soleil, plage, baignade, un peu de tourisme et bons plats réunionnais rythme les quelques jours d’avant course.

Mercredi 16 octobre : Retrait des dossards.

On m’avait dit, vas-y tôt, il y a du monde. Je décide d’y être pour 6h. Il y a déjà du monde, mais ça va, je ne suis pas trop loin dans la file d’attente qui se rallonge très vite derrière moi. Christelle et Serge me rejoignent dans la file, on papote ça fait plaisir de retrouver des têtes connues.

7h30, le retrait des dossards ouvre. Nous avançons assez vite. Contrôle des sacs, après avoir montré 3 fois ma carte d’identité, je retire enfin mon dossard et mon bracelet au poignet ( à ce jour il y est toujours, incapable de l’enlever…) je vais chercher les sacs de délestage et les tee-shirts obligatoires. Je me dis cool ça a été rapide…. Ben non en fait, il faut passer par le village des partenaires pour récupérer les goodies et sortir du village. Et c’est reparti pour l’attente. Une fois sortie, je regarde la file d’attente et je me dis que j’ai bien fait de venir tôt. Je croise les copains Stephan et Jimmy et aussi Zohra, ça fait plaisir de les voir. Je retrouve mes enfants, je sors mon dossard, le précieux…. Ça y est, je réalise que je vais prendre le départ de cette course mythique !!!

Je profite d’être sur St Pierre pour aller faire un petit coucou avec un ami de fac, Bakri, que je n’avais pas vu depuis…. 25ans, chuuut. Retour à la maison, au programme, préparation des sacs et des vêtements, surtout ne rien oublier ! Un dernier petit run sur le lagon avec le coucher du soleil, je prends le temps de ce moment toute seule pour souffler et me recentrer après cette journée riche et bien remplie.

Jeudi 17 octobre : Ça y est, ça se précise, ça approche… J’ai les frissons…

Le matin, je prends le temps de me réveiller tranquillement comme le reste de la journée, tranquille ! Et à 17h, toutes mes affaires sont prêtes, je suis plutôt détendue et surtout heureuse et pressée de prendre le départ. Départ pour St Pierre, on part tôt, peur de galérer pour arriver sur place et se garer. On arrive pour 20h, je grignote mes sandwichs en attendant de rentrer dans les sas de départ et déposer mes sacs de délestage. Je croise Zohra et Sandy, on échange un petit peu et je rejoins mes enfants et mon frère, je rentre dans ma bulle. Un dernier bisou, câlin, je me dirige vers les sas de départ… Ça y est, ça se précise, ça approche… J’ai les frissons…

J’entre dans l’aire de départ. je fais la queue pour déposer les sacs de délestage. J’ai le sourire mais le stress commence à monter. Je repense à la discussion que j’ai eu avec mon coach en fin d’après midi. Rien à prouver, juste kiffer !!

J’avance vers les sas, la sensation d’être parquer comme des bestiaux… Les sas sont délimités par des grilles de chantier. Les coureurs regroupés, certains discutent, d’autres dorment un peu, quand encore d’autres sont déjà dans leur bulle, concentrés. Je croise Christelle et Serge, on papote un peu et on rejoint nos sas respectifs… Je suis dans le sas 3, normal je n’ai quasiment pas fait de course ces deux dernières années.

21h45 le premier sas est libéré.

Le premier sas est libéré et s’avance vers la ligne de départ puis le deuxième. Les autres coureurs s’agglutinent contre la grille et enfin on avance, ça se bouscule, je me dis « oh les gars on est dans le troisième sas, calmez vous ! On ne joue pas le classement !! ».

Ça y est, on y est, sur le départ de cette course qui me fait tant rêver… Après des mois de préparation, de doutes, de stress, de sueur, je trépigne, mes émotions se mélangent. Les larmes montent en même tant que l’ambiance. Il y a un monde fou au bord de la route. Le décompte du speaker démarre, 10, 9, 8… 3, 2, 1, c’est parti waouh, ce que je ressens et indescriptible. Je rentre dans ma bulle et je me dis kiffe le moment, profite de cette ambiance. Les gens crient, chantent, nous encouragent, tout les enfants tendent la mains pour qu’on tape dedans, je me prends au jeu et je me régale c’est juste énorme, l’impression d’être un super héros. Pendant 7 km, il y a du monde, c’est fou cette engouement. J’ai le regard sur la foule, et je ne regarde pas où je cours. Et bim, un nid de poule et la cheville tourne. Aie, pas maintenant, pas à 500m du départ. Je continue à courir en espérant que ça passe. Je continue à profiter.

Et puis on passe dans les champs de cannes à sucre, et la le silence arrive, une guirlande de frontales se dessine. Je me concentre et reste sur un rythme tranquille sans me faire emporter par les autres coureurs qui continuent à courir dans la montée . Mon but est de finir. L’objectif est de rester sur la réserve jusqu’à Cilaos. La cheville ne me fait plus mal, ouf….

Je ne vois pas le temps passer. Je croise Pascal, de Marseille production, qui fait un reportage, on discute, il sort la caméra et petit interview. Je parle de mon papa parti trop tôt et qui me porte.

15km, Domaine Vidot.

Premier ravitaillement, déjà. Je rentre, et là, trop de monde, pas de place pour accéder aux tables, il fait chaud, je décide de tracer, j’ai suffisamment d’eau pour la prochaine portion. À la sortie, entonnoir pour se retrouver dans un single. Et voilà, ça bouchonne. Je râle, mais on m’avait prévenue. On est un peu à l’arrêt puis ça avance quand même un peu. La pluie annoncée commence à tomber, petite pluie fine, qui transforme vite les chemins en gadoue. Boue qui ne va pas nous lâcher de la course…. Je me refroidi et la cheville tiraille un peu. Je mets 1h pour faire 1km… Et ça y ça se débloque, le chemin s’élargit, appartement on attaque la portion qui a changé pour éviter les bouchons, mouai…. ça continue à grimper, je reste sur mon rythme, je profite, j’aime bien la nuit, le corps va bien. J’arrive au ravito de Notre dame de la Paix. Un petit coup de moins bien, j’ai un peu froid, les jambes tiraillent un peu, rien d’anormal, c’est la fin de la nuit, je me connais, j’ai toujours cette sensation avant le lever du jour. Je fais le dos rond, je sais que ça va passer.

33km, Notre Dame de la Paix.

Ça y le ravito est là, pas grand chose à manger, c’est pas grave, je fais la queue pour remplir les flasques et ma poche. Je dis stoppé au bénévole, et il ne m’entend pas. Elle est trop remplie. Sur le coup, je me dis c’est pas grave. Je me retrouve avec 2,5 kg d’eau sur les épaules. Je repars, le moral est revenu. Une petite descente en bitume, le jour se lève et là le spectacle est sublime, une mer de nuages laisse dépasser le piton des neiges. C’est beau. J’adore cette ambiance du petit matin quand la nature s’éveille. Je suis bien, les jambes sont là, je le sens à ma place et prête pour affronter cette journée qui débute. A partir de là les paysages changent, on passe dans de grands pâturages bien pentus. Ça grimpe bien encore, heureusement que la pluie a cessé et laisse apparaître le soleil. J’arrive tranquillement après Piton sec et la fin de la première grande ascension au parking de l’aire de Nez de boeuf, avec 45,5km, et 2600m de d+.

45km, Parking aire Nez de Bœuf.

Il est 7h45 du matin, je décide de me poser un peu au soleil et de manger une petite soupe avant de repartir sans trop tarder. Je suis toujours dans les temps que je m’étais fixée. Direction Marre à boue, et la pleine des cafres. Je rattrape une tête connue, Marie Hélène rencontrée en Suisse. On descend au milieu des pâturages, je trottine et me fait plaisir. Mais la boue est bien présente et ces appuis glissant réveilleront mes aponévrosites qui me laissaient tranquille jusqu’à présent. J’ai mal au dos, Merci les 2kg5 d’eau…Je ralentis, le moral en prend un coup, j’ai vraiment très mal et me focalise trop sur ces douleurs. Les larmes montent, premier gros coup de moins bien. Une longue portion bétonnée nous amène au prochain ravitaillement, il y du monde sur le bord de la route ça fait du bien et les larmes sèchent.

55km, Mare à Boue, 9h53 et 11h53 de course.

Marre à boue! Enfin, un vrai repas, riz et haricots rouges, ça fait du bien, je m’assois dans l’herbe pour manger. Ces quelques bouchées réchauffent le cœur et l’estomac. Je repars avec le sourire.

Direction le sommet de l’île, le piton des neiges, et la montée des coteaux de Kerveguen, je ne savais pas encore ce qui m’attendait. Pourquoi personne n’en parle de cette montée? Elle est horrible et interminable. De la boue +++, des racines , des cailloux, des blocs énormes, des échelles. Après la forêt, c’est le brouillard qui s’installe, on grimpe mais on ne sait pas vers où ? On ne voit pas le sommet. Je râle forcément. Je regarde la montre, je fais 1km en 25 minutes.

Heureusement je ne suis pas seule, ça rigole, il y a une bonne ambiance. J’arrive enfin à la croisée des coteaux de Kerveguen à 14h37, au point culminant de la course à 2490 m d’altitude.

Sentier du bloc, une grosse descente (4km, 1000m de d-) vers Cilaos, on est à 65km de course. Pour le moment je fais la course que je souhaite, tout va bien, je reprends du monde en étant sur la retenue. La descente est très technique, la pluie fine est de nouveau là. Ça glisse beaucoup. J’aime ce genre de descente mais là je reste prudente. Ça bouchonne un peu. Je freine un peu l’allure et bim! Je sens mon pied gauche vriller, le même qu’en début de course, vous vous rappelez ? Et là, c’est pas la même, la douleur est vive. Je tombe. Je m’effondre en larme. Des coureurs s’arrêtent me réconfortent et m’aident à me relever. L’appui est difficile. Je repars très doucement, je me fais doubler, beaucoup.

Le moral chute, je doute. Je me dis c’est foutu, je ne finirai pas la diagonale…

Et puis je continue à descendre, de toute façon j’ai pas le choix, il faut aller jusqu’à Cilaos. Là bas, c’est une base de vie, avec médecin et kiné. Tout n’est pas perdu. J’avance doucement mais j’avance. Je discute avec ma fille par message et lui explique la situation, elle me demande plusieurs fois vers quelle heure je serai à Cilaos. Je lui dis que j’en ai aucune idée. Je comprendrais plus tard son insistance qui m’agace sur le coup. Ravitaillement à la fin du sentier du bloc, on rejoint la route. Allez, du bitume pour rejoindre Cilaos, ça va le faire. Et ben non ! Bifurcation vers le plateau des chênes et je vois que le chemin remonte. Je demande au jalonneur, « c’est par là ?! ». Il me dit oui oui. Je fond en larme, j’ai peur de ne pas y arriver. J’ai mal. Il m’aide à m’asseoir, me prête sa veste et me remonte le moral. Je m’apaise. Je me relève et repars. Il faut aller jusqu’à la base de vie. Je verrai à ce moment là.

75km, Cilaos.

Le stade de Cilaos est enfin là. Ouf. Je vais directement vers le vestiaire pour me rincer et me changer. Il est 17h27. À ce moment là j’ai encore de l’avance sur la barrière horaire malgré le temps perdu dans la descente. Entre temps ma fille m’a dit qu’ils arrivent. Mon frère et mes enfants me font la surprise de monter me voir. Vous imaginez même pas ce que je ressens à ce moment là. Dans le vestiaire il fait chaud, il y a du monde, on échange nos impressions. J’enlève les chaussures, les chaussettes et je regarde l’ampleur des dégâts. C’est un bel œuf qui orne mon pied gauche. C’est bien ce que j’imaginais. J’envoie un message dépitée à Greg, mon coach, qui me dit, va voir le médecin et on s’appelle après. Go, je vais vers la tente avec les kinés et médecin. Il l’occulte. Le verdict tombe, entorse latérale externe. Pour lui c’est une mauvaise idée de repartir. La nuit est tombée, il pleut, j’ai froid, je doute. Je vais voir les kinés. Elles sont adorables. Elles me font un bon strappe. Et me donnent quelques conseils. J’appelle Greg, je lui fais pars de mes doutes, de l’avis du médecin, de mon envie d’arrêter, de ma déception, pas envie de me battre avec les barrières horaires, j’étais pas venue pour ça. Entre temps mon frère et mes enfants sont arrivés. Le soucis, c’est que là, j’attaque la montée du Taïbit, et après on bascule dans Mafate, et plus possible d’arrêter, il faut sortir de Mafate. On décide d’aller jusqu’au prochain ravitaillement, au début du sentier Taïbit. On voit si la cheville tiens avec le strappe. Et on avise là bas.

Je repars, il est 20h après 2h30 passé à la base de vie !

Je fais le plein d’eau. Je laisse mon sac de délestage à mon frère, je lui fais pars de ma décision et lui demande de m’attendre au cas où. Ma fille me regarde et me dit,  » on se voit à la redoute !! » Avec un ton bien ferme, je lui dis ok je fais au mieux. Je trottine jusqu’à la cascade bras rouge, ça descend, la cheville semble tenir,le chemin est large et pas technique. Puis passage de la rivière et là j’attaque la montée vers le sentier Taïbit. Ça grimpe sec. Au loin, on aperçoit les lumières des frontales des coureurs du Bourbon partis de Cilaos qui rejoignent le point de ralliement par la route. Et au dessus le lever de lune est superbe, les nuages sont partis. La lune est pleine. C’est magnifique. La cheville tient. Le moral revient doucement. J’accepte de ne pas faire la course que j’avais imaginée et mes objectifs de chrono. Je le dis que j’ai pas fait tout ça pour abandonner. La prépa, le voyage, les sacrifices, la promesse faite à mes enfants, mon papa. Je me dois de finir. C’est la diagonale des fous !!! Tout le monde n’a pas la chance d’être là !!! J’envoie un message à Greg, à Solenn pour leur faire part de ma décision de continuer. J’arrive au pied du sentier, il y a un gros bouchon des concurrents du Bourbon. Beaucoup de coureurs de la diag abandonnent, pendant que d’autres dorment le long de la route. Je mange, il n’y a plus de bouchon. Il est 22h10, j’ai encore 1h35 d’avance sur la barrière horaire. C’est reparti, direction le col du Taïbit et le cirque de Mafate !!! Au programme 4km pour 800d+….

Me voilà reparti, motivée pour aller au bout de cette aventure.

La montée ne me fait pas peur. Les heures de randonnée pendant la prépa m’aident à garder un bon rythme malgré tout. Le bord du sentier à être jonché de coureurs qui dorment à même le sol avec leur couverture de survie pour se réchauffer. Je n’avais jamais vu ça, je suis surprise, pourquoi dormir là. Pourquoi ne pas dormir sur les ravitaillements? Bref, moi j’avance, je n’ai pas sommeil.

Et puis j’entends de la musique au loin, le temps passe vite mais bon là ça fait rapide pour arriver au col. Et là, petite surprise très sympa, la tisanerie des 3 salazes. Il y a de la musique, des coureurs qui dansent, qui chantent, et une petite tisane concoctée avec soin par les propriétaires du lieu. Je m’assois, bois ma tisane, et profite de l’ambiance pour reprendre quelques forces. Allez c’est reparti, faut pas s’éterniser. Il y a un col qui m’attend. Mafate, j’arrive !!

Samedi, un peu plus d’1h du matin, je passe le col du Taïbit 86km, 2080m d’altitude. La vue est belle, heu non, il fait nuit noire, on voit rien 😂. Je bascule dans Mafate. On en sortira qu’au 120eme km, pas le choix, faut tenir et serrer les dents. La descente sur l’îlet de Marla est raide et bien technique. Je suis très prudente. Ça ne suffit pas, je glisse et tombe juste avant le ravitaillement et me fait une belle frayeur. Je m’arrête au bord du sentier, je ne vois pas avec la nuit mais ça m’a l’air bien abrupte. Je me relève et je me dis que ça va être long toutes ces descentes techniques et glissantes avec une cheville en vrac. J’arrive quand même à reprendre des places, encore merci les randos…

88km, Marla.

Ravitaillement, 1h43 du matin et 27h43 de course, je vais manger, il y a de la purée de patates douces, c’est trop bon ça réchauffe. Je me change, il fait froid en altitude. Je grelotte et décide de repartir direction le col de Fourche en passant par la plaine des Tamarins. Au moment de traverser la rivière, je glisse, encore, et tape fort le l’avant bras sur l’os. J’ai la tête qui tourne, je sens le malaise vagal arrivé avec la douleur. Je me connais, je reste assise qq minutes le temps que ça passe. Avant la montée au col on passe sur ce plateau magique. La forêt est belle de nuit. Le sentier bien que plat, est technique, de la boue et des rondins de bois pour consolider le sentier rythme le pas. Les parties d’ascension sont raides et techniques, comme toute la course en fait. Juste après le col, petite descente, roulante, oui oui , comme ça peut être roulant avec de grandes marches pour nous rappeler qu’on est à la Réunion. Je vois les lumières du ravitaillement de la pleine des Merles. On est pour quelques kilomètres dans Salazie.

92km, Plaine des Merles.

4h48 du matin, j’ai 45 min d’avance sur la barrière. Ça va. Je mange de la soupe de pâtes, vous imaginez pas à quel point on peut trouver des vermicelles avec un bouillon cube délicieuses après 30h de course… Je repars, j’ai un peu froid. On continue la descente pour rejoindre le sentier scout et Mafate. Le jour se lève doucement, il y a un brouillard épais. Et…. De la boue ! Un bonheur !

Départ du sentier Scout, il est 5h50, 97km et je passe la barrière de 40 minutes. J’ai envie de trottiner mais impossible la cheville est douloureuse à la course. Alors je marche dans cette grande descente jusqu’à Aurère. Je suis contente de faire cette portion de jour. Le ciel se dégage et le spectacle du lever de soleil sur Mafate est sublime. Ça me fait oublier, la fatigue et la douleur. J’aperçois au loin un passage vertigineux appellé « les deux fesses ». Ben je les ai serrées. Puis après Roche plate, un petit raidillon à flanc de falaise Je le passerai bien collée à la paroie le long du câble, vertige toujours. La vue est à couper le souffle avec le vide à droite et à gauche pendant quelques mètres. Puis redescente vers l’îlet à Malheur, et petite remontée vers Aurère. Je croise les joelettes. Je les salue et les applaudis. ils sont impressionnants.

105km, Aurère.

9h00, 35h de course et 5900d+, je vais pouvoir enfin me changer, j’ai chaud avec les manches longues…. Il y a du soleil, je me tartine de crème solaire, je fais le plein, je mange et je repars. De nouveaux sur une longue descente et ses marches impossible à courir mais pas à cause de la cheville… Seulement 4km et 450m de d- pour atteindre la passerelle bras d’oussy et 1h30… J’arrive avec 45min d’avance sur la barrière. Je reste constante, lente mais régulière. Je descends jusqu’à la rivière à Galets qu’il faut traverser. J’enlève les chaussures et l’eau fraîche me fait du bien à la cheville. Je rechausse et c’est reparti pour la longue montée vers ti col Maïdo.

Mais avant on prend la direction de l’îlet des Lataniers. J’ai chaud, c’est très raide, je bois beaucoup et me retrouve à sec… J’avais mal calculé le temps de déplacement entre les deux ravitaillement. Des jalonneuses me rassurent en me disant qu’il y a une citerne juste après l’îlet où je vais pouvoir recharger en eau. Mais ça va laisser des traces, je m’arrête quelques minutes avant de repartir vers l’îlet des Orangers. Je connais le sentier, je l’avais fait en 2020 avec Hugo un copain rencontré avec Compex. Nous avions fait une belle randonnée sur le parcours du grand Raid dans Mafate. Ça aide de savoir où on va.

Les orangers, le temps s’est couvert. Il est 14h20. Je mange une purée qui me redonne de l’énergie. Il en faut, pour atteindre le Maïdo, il va falloir grimper 8km et 1200d+ sur un terrain très très technique. C’est parti, jusqu’à la Brèche je connais. J’ai un bon rythme. Dans les montées ça va, ma cheville ne m’handicape pas. J’arrive même à rattraper du monde. Après la Brèche, il reste encore 3km et 600d+. Autant dire que c’est droit dans le pentu! En plus, on ne peut pas profiter de la vue. Le plafond nuageux est très bas. On a la tête dans les nuages. Je fais des minis pauses de temps en temps pour manger.

Je commence à entendre de la musique, des gens crier. Apparemment il y a du monde en haut. Ça donne le sourire.

La porte de sortie de Mafate est là !

Il y a une ambiance de fou. On se croirait en haut d’un col du tour de France. Je passe le portail, oui un vrai portail, avec le sourire, sous les applaudissements et les encouragements. Que ça fait du bien au moral. En plus il est 18h et j’ai deux heures d’avance sur la barrière horaire et ça c’est une bonne nouvelle (On en est à 120km de course et 44h de course!). Parce que là, nous attend une longue descente de 18km et 2000d-. Avec ma cheville, ça risque d’être long… J’ai 5h30 max pour être à la prochaine barrière à l’îlet Savannah !!! Au ravitaillement du piton des Orangers. Je ne traine pas. Pas de temps à perdre. La nuit est tombée et le brouillard aussi…. Me voilà repartie direction Ilet Savannah avec une longue descente que j’appréhende beaucoup. L’objectif est simple perdre un minimum de temps sur la barrière horaire. Le début de la descente est plutôt roulante j’accélère le pas j’essaie de trottiner c’est compliqué. La nuit est tombée, il y a du brouillard. J’allume ma frontale, et j’y vois rien. Brouillard et frontale ne font pas bon ménage. Visibilité: 1m, je ralentis et reste prudente, je n’ai pas envie de tomber, le sol est toujours aussi glissant. Je m’enfonce dans la forêt, le brouillard s’estompe. Je me retrouve avec un petit groupe, on papote, ça fait du bien de ne pas être seule. La descente est longue et me semble interminable. À la sortie de la forêt, le terrain est moins technique et je laisse partir mes compagnons de route ne pouvant pas les suivre. La cheville est douloureuse. Je fais quelques glissades sur les fesses sans conséquence physique. Mais le moral est dans les chaussettes. Ma montre s’est arrêté, plus de charge, je me suis trompée en début course. Je n’ai pas activé le mode ultra. Erreur que je ne ferai plus. Je vais devoir finir la course sans savoir où j’en suis. La descente est longue, et je n’ai aucune idée de la distance qu’il me reste jusqu’au prochain ravitaillement. C’est très perturbant, l’heure avance et je me rapproche de la barrière horaire. Je stresse. Il fait nuit, je n’ai aucun repère. Je suis seule. J’arrive enfin à Sans Souci et je suis soulagée. Mais c’est de courte durée. Je croise du monde sur le bord du chemin. Je pense que je ne suis pas loin du ravitaillement. Je demande si c’est encore loin, et là c’est le coup de massue. « En marchant, 1h » je suis dépitée. J’ai du mal à trouver mon chemin dans les rues de sans souci… Il y a beaucoup de bifurcations. J’ai la sensation de tourner en rond. Je décide de courir, c’est du bitume, ça passe. J’aperçois enfin la base de vie. Les gens me disent « aller 500m et vous y êtes ». Oui mais là c’est 500m très pentu dans un single technique… Je serre les dents, quelques larmes m’échappent. Je craque un peu.

139km, Ilet Savannah.

23h27, ouf, c’est bon j’arrive avec 18min d’avance. Je respire. Je suis soulagée. 139km, je suis proche de la fin. Je récupère mon sac de délestage, je vais pouvoir me changer, manger, reprendre des forces. Je râle auprès des bénévoles pour leur dire que l’arrivée par sans souci est très difficile psychologiquement et je ne suis pas là seule à être de cet avis. Ils m’écoutent avec soin et bienveillance. Ils sont adorables. Par contre il me disent de ne pas trainer, que la prochaine barrière est très serrée. Donc exécution. Et je repars toute propre, ou presque et avec le moral. Direction la rivière à Galets que je traverse sans mouiller les pieds puis ça remonte par un petit chemin. À ce moment là, ma frontale montre des signes de faiblesse, bizarre qu’elle n’ait pas assez de charge. Pas grave, je sort la batterie de la première nuit qui est encore bonne. Et je mets en charge avec ma batterie externe au cas où. Et je me remets en route, un peu de temps de perdu mais je ne me laisse pas abattre. Le chemin passe par un quartier au milieu des maisons. Ce passage est bof bof. Vous vous souvenez de Marie Hélène que j’avais laissé partir au moment de mon entorse. Ben elle est là, on décide de faire un bout de chemin ensemble. Je ne sais pas à quel moment je suis passée devant. On s’encourage mutuellement. Et on redescend sur le chemin Ratinaud que je sais très très technique. L’heure avance et j’accélère, j’aime ce type de terrain, je me régale. Les 500 derniers mètres qui nous séparent du ravitaillement sont sur une route en descente. Je pars en sprint. Si ça passe ça sera tout juste.

146km, Chemin Ratinaud.

Je ne pensais pas être capable d’aller aussi vite au bout de 145km de course. Ça passe ouf, mais de tout juste 3min. Marie Hélène arrive avec moins d’une minute. D’autres coureurs arrivent et se font arrêter pour quelques minutes. C’est dur, j’aimerais pas être à leur place. On traine pas et on repart par le sentier technique de Kalla direction la Possession. Je prends un bon rythme, Marie Hélène me demande à plusieurs reprises de l’attendre, elle est fatiguée et gère mal les hallucinations. C’est vrai que c’est perturbant. Pour ma part, je connais et je m’en amuse. Elle décide de s’arrêter pour dormir un peu. J’hésite mais la barrière horaire est très proche. Je la laisse à contre cœur mais je pense à moi et à la promesse que j’ai faite à mes enfants et mon père. J’accélère, le jour se lève j’aperçois la ville en contrebas. Le chemin est technique mais tant pis, faut y aller. Si je marche c’est mort. Je pars en courant. Ça passe ou ça casse. Je me concentre sur mes appuis, j’occulte la douleur. Je m’étonne encore de l’état de mes jambes, elles répondent très bien. J’arrive dans un lotissement, du bitume j’accélère encore.

154km, La Possession.

Plusieurs bifurcations et j’arrive enfin à l’école où se situe le ravitaillement avec 5 min d’avance… Il est 5h55 et j’ai 55h55 de course. Si c’est pas le signe que je vais terminer la course… Je mange, reprend mon souffle et repart, seule ou presque. J’ai le sourire, je connais la fin du parcours. J’avais déjà fait le trail des anglais en 2018. Je sais ce qui m’attend. Le fameux Chemin des anglais !!! Ses pavés sont irréguliers et très technique. Une randonnée est organisée au départ de la possession jusqu’à la redoute. Leur but est d’accompagner les derniers coureurs de la diagonale. C’est top. Ils sont trop gentils. Ils encouragent et je me sens moins seule.

Une personne de l’organisation reste avec moi, il sent que je souffre. Je lui fais part de l’état de ma cheville. La montée se passe bien mais la descente c’est une autre histoire. Le chemin s’est beaucoup dégradé et mets ma cheville à rude épreuve. Le soleil est bien présent, il fait chaud, j’ai mal, toujours peur de cette barrière horaire. On fait des zig Zag, j’ai l’impression que Grande Chaloupe est super loin. Il me rassure et m’encourage. Je lui fais confiance. Ça y est, on y est avec 12 min d’avance. Ouf. Je lui dis un grand merci. C’était top de discuter avec lui. Le temps est passé plus vite.

161km, Grande Chaloupe.

Je m’assois pour manger, des coureurs dorment sous les tentes. Pour la première fois, je sens la fatigue pesée. Je sens mes yeux se fermer. Houla !! Faut repartir avant que la fatigue prenne le dessus et que mon corps lâche. Je sais maintenant que je vais aller au bout. Il reste la montée du Colorado. Je suis confiante. Je prends mon rythme. C’est bizarre comme sensation, envie de profiter de l’instant présent et aussi de vite finir. Je me mets dans ma bulle et reste concentrée. La première partie de la montée jusqu’au pointage de Saint Bernard se passe bien, je suis sur mon nuage. Je me remémore les jours qui viennent de s’écouler. Je traverse la route pour atteindre la dernière montée et le sentier vers le Colorado. Je me suis réjouis un peu vite. Le temps s’est couvert, il pleut sur les hauteurs et il a plu tout ces derniers jours. Ce qui a rendu le sentier ultra glissant. C’est une horreur. Aucun appui ne tient. Tout le monde glisse. J’enchaîne les chutes dont certaines assez lourdes. J’ai la main droite qui saigne, et le pouce a un bel hématome. J’ai bien mal et j’ai du mal a bouger la main. Mais c’est pas grave, ça ne m’empêche pas d’avancer.

170km, Colorado.

J’arrive enfin en haut. 4h pour faire 10km…. Il pleut , je suis recouverte d’une couche de boue. Je demande si il y a un endroit pour me rincer avant de redescendre. J’enlève toute cette boue, sur mes jambes et mes chaussures. Je suis plus légère. Je passe voir les secours pour ma main et avoir un peu de glace. Au même moment arrive une coureuse qui s’est cassé le bras sur une chute. Au final, moi ça va, je les laisse gérer l’urgence. Je vais manger. Les bénévoles me rappelle d’enfiler le tee shirt de la course. Je mets mon débardeur. La pluie a redoublé. Il reste la descente vers le stade de la redoute. Je suis pressée de finir. Le chemin est technique. La pluie nettoie les rochers et ça ruisselle. Je sais que si je prends mes appuis dans le ruissellement ça ne glisse pas. Le ravitaillement m’a donné un petit coup de fouet. Je me mets à courir, je double beaucoup. Je m’amuse. Au milieu de la descente la pluie s’est arrêtée et ça devient de nouveau très glissant, je continue en marchant. On entend le speaker au loin. Je commence à réaliser que je vais aller au bout. Ça sent plus que bon.

Fini le sentier. Je me remets à courir, j’oublie la fatigue et les douleurs.

On passe sous le pont, il y a de plus en plus de monde au bord de la route, on nous encouragent, nous félicitent. L’émotion monte, je suis sur mon nuage. J’entre dans le stade en courant. J’ai l’impression d’être une grande championne tellement il y a d’applaudissements. J’ai même droit à une hola. Je passe l’arche d’arrivée en larme. Un torrent d’émotions me bouleverse. Je l’ai fait, j’ai survécu.

Il est 14h50, bien loin de ce que j’avais en tête au départ. Mais peu m’importe, j’ai réalisé mon rêve. J’ai ma médaille autour du cou et c’est trop bien. Je suis fière de moi.

J’aperçois Zohra et Sandy qui a fait une superbe course, toutes les deux finisheuses aussi. On partage nos ressentis. J’aperçois enfin mes enfants et mon frère. Ils m’ont raté de peu, c’est pas grave. Je suis tellement heureuse de les voir. Je file à la douche dont je rêve depuis deux jours… Elle est froide mais qu’est ce que ça fait du bien. J’ai du mal à réaliser ce que je viens de faire. Je mettrais du temps à réaliser. 64h50min de course, 3 nuits sans dormir. Waouh. C’est pas possible j’ai pas fait ça… Je passe voir les podologues pour soigner les trois ampoules, merci l’humidité. Dans l’ensemble je m’en sors bien, hormis l’entorse. Je retrouve Christelle, finisheuse aussi avec son homme. On se félicite. Direction la voiture, je préfère rentrer sans attendre les podiums et le feu d’artifice. Je sens bien la fatigue et besoin de dormir. On a à peine le temps de sortir de St Denis et je tombe dans un profond sommeil en pleine conversation….

Merci pour tout le soutien que j’ai reçu, tous les messages, pendant et après course.

C’est juste énorme tout cet amour. Merci à Greg pour tout. À mes enfants et mon frère. C’est une aventure oufissime et j’espère vous avoir partagé au mieux ce que j’ai vécu. Pour moi c’est une manière de laisser une trace et de mettre un point final sur ce Grand Raid 2024. Mais c’est sûr je reviendrai.


MERCI à Catherine pour son incroyable récit. Si vous aussi, vous aimez faire des récits de vos aventures, n’hésitez pas à nous les transmettre avec des photos. Nous en ferons peut être un article. (Mail : contact@marseilleprovenceproduction.fr)


Retrouvez notre reportage vidéo en totale immersion en cliquant sur l’image ci-dessous et à bientôt pour de nouvelles aventures !

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